Études et recherche

Le phénomène des mules

Etude sur le phénomène des mules en Guyane

Fonds d’Expérimentation Jeunesse, Ministère de l’Education Nationale, Ministère des Outre-Mer

Méthodes : méthodes qualitatives

sept. 2017

 

févr. 2019

Nous avons réalisé la première étude sociologique sur le phénomène des mules en Guyane. Elle apporte un regard nouveau sur ce fait social et propose des pistes d'action pour les pouvoirs publics.

Cette étude a fait appel à un terrain d'enquête important, qui s’appuie sur des observations, entretiens semi-directifs individuels et collectifs au cours desquels nous avons échangé avec 48 personnes différentes, et 13 focus groups auprès de 102 jeunes. Ce sont au total 190 personnes différentes qui ont été enquêtées, afin d'obtenir un matériau inédit.

L’étude remet d’abord en cause la prédominance des explications individuelles et psychologiques pour expliquer le phénomène des mules. Suivant ces explications, généralement portées par des acteurs des instances publiques et politiques, le phénomène ne constituerait pas un « fait social », mais un fait individuel pensé à l’aune du tempérament, du caractère ou encore de l’histoire des individus. Or, ce registre d’explication occulte le contexte social et économique de la Guyane en général et de l’Ouest guyanais en particulier qui, par sa pauvreté, ses faibles perspectives scolaires et professionnelles, ses conditions de vie délétères pour les populations précaires, contraint les trajectoires sociales et est vecteur d’engagement dans le trafic de cocaïne. Le phénomène des mules relève bien d’un fait social marqué par son caractère collectif, sa relative stabilité et son caractère contraignant pour les individus.

L’étude montre ensuite que les politiques publiques de lutte contre le phénomène des mules tendant à davantage répondre à une exigence d’urgence et de visibilité de l’action publique qu’à la construction d’une réponse cohérente et ambitieuse. La lecture individuelle du phénomène des mules affecte en profondeur la mise en œuvre de politiques de lutte car elle se traduit par une sous-estimation du problème, perçu comme « lointain » et comme relevant uniquement de choix individuels.

Enfin, l’étude se focalise plus précisément sur les actions de prévention du phénomène des mules et montre qu’en l’absence de politiques coordonnées (et ordonnées) de lutte contre le phénomène des mules, les acteurs de terrain confrontés au phénomène mettent en place des actions de prévention caractérisées par leur circonscription dans le temps et l’espace et par le « bricolage » qui les sous-tend. L’absence de ressources (études, données précises) sur le phénomène affecte la qualité du message diffusé. Celui-ci est en décalage avec le vécu des individus ciblés sur différents aspects concernant notamment la surestimation du risque sanitaire, la non considération de la récidive et de l’entrée précoce dans le trafic, la non prise en compte d’une propagande « pro-mules » et la vision caricaturale des recruteurs, des trafiquants et des mules.

De surcroît, les actions de prévention existantes peinent à dépasser la distance qui existe entre les acteurs de la prévention et les jeunes qu’ils ciblent. La distance symbolique qui en découle, accentuée par la langue de la prévention, qui n’est pas nécessairement la langue du quotidien, peut parfois être source de défiance à l’égard des acteurs de la prévention. Les actions de prévention sont ainsi marquées par des limites de formes et de fond qui nuisent à leur efficacité.

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